Ils nous inspirent

Fabien JACQUIER

1 – Quel a été votre parcours ?

J’ai grandi à Combloux, face au Mont Blanc, au milieu des vaches. J’ai toujours été passionné de montagne et d’alpinisme. Après mon diplôme d’ingénieur IT à l’Ecole Nationale Supérieure des Mines à Fontainebleau, je suis venu à Genève pour me rapprocher des montagnes, vivre ma passion et passer mon diplôme de guide de haute-montagne.

Ce que j’aime dans la montagne, c’est la possibilité de vivre une aventure humaine.

Créer mon entreprise, Kyos, dans la sécurité IT, s’est fait naturellement, comme une évidence : c’était un autre moyen de vivre une aventure humaine. Mais créer une entreprise seul n’avait pas de sens pour moi - l’aventure n’a du sens que si elle est partagée… Je me suis donc associé avec mon meilleur ami, Max, ingénieur IT et passionné d’alpinisme, comme moi.

2 – Quels parallèles faites-vous entre la façon dont vous pratiquez la haute-montagne et la conduite de votre entreprise ?

Il y a plusieurs points communs :

  • Tout d’abord l’espace de liberté: dans l’entreprise comme en montagne, on se sent libre et responsable de choisir le chemin que l’on va emprunter,
  • Ensuite l’aventure et les objectifs à atteindre, même si le plus important, ce sont le chemin parcouru et la gestion des risques, et non l’atteinte du sommet,
  • C’est aussi la prise de risques,
  • Et enfin le désir de se faire plaisir.

Il y a cependant des différences importantes, notamment :

  • Dans l’approche des risques: atteindre un sommet , c’est très différent d’atteindre des résultats ou des objectifs commerciaux. En montagne, il faut surtout savoir bien jauger les risques. Dans mon entreprise, je vais davantage analyser les risques en fonction de l’impact que je cherche à obtenir.
  • Dans la notion de plaisir: le plaisir en entreprise intègre une forte dimension d’utilité. Pour Kyos, il est indispensable de se sentir utile tout en se faisant plaisir.

3 – Considérez-vous votre entreprise encore comme une start up ?

Nous n’avons jamais été une start-up pour plusieurs raisons :

  • Nous n’avons pas eu d’idée innovante,
  • Nous n’avons pas connu de croissance hyper rapide,
  • Nous nous sommes autofinancés, sans recourir à aucun investisseur.

Nous avons simplement créé une entreprise de services, dans le but d’aider les autres. Avec la sécurité IT, nous pouvions être simples et efficients, tout en apportant la sécurité demandée.

Nous nous sommes développés progressivement mais sûrement depuis 16 ans, avec un taux de croissance moyen de 20% par an. Nous avons connu plusieurs stades de développement :

  • Première étape : nous avons mis 5 ans pour trouver le bon business model, rentable. Nous n’avions en effet que 26 ans lorsque nous avons créé Kyos, sans expérience et sans aide…
  • Puis, à chaque phase de croissance, nous avons réinventé un business model et adapté notre modèle organisationnel :
    • Lorsque l’équipe est passée de 10 à 25 personnes, nous avons mis en place un middle management et avons structuré davantage l’organisation (process, qualité, contrôle,…). Nous avons finalement déconstruit toute notre organisation de départ.
    • Lorsque l’équipe a dépassé 25 personnes pour atteindre aujourd’hui 45 personnes de cultures et de langues différentes, nous avons encore adapté notre organisation, en douceur et de manière partagée. Nous avons aussi mis en place une organisation avec des bureaux à distance.

Beaucoup d’entreprises fonctionnent comme nous. Finalement, nous avons une organisation assez tribale, qui fait place à la coopération pour assurer le développement et la survie de la société.

4 – Quelles difficultés avez-vous rencontrées?

  • Tout d’abord, apprendre à gérer son stress, avec 3 niveaux de stress liés à :
    • La pression financière, celle de la rentabilité et du business model,
    • L’organisation de sa délégation: accepter de lâcher la relation directe avec le client, que l’image de l’entreprise soit portée par d’autres personnes que soi, que l’entreprise ait désormais sa propre identité…
    • Sa responsabilité vis-à-vis de ses collaborateurs: se sentir aussi responsable pour les autres (bien-être au travail pour tous,…)
  • Et aussi savoir trouver une vraie cohérence entre la vision, les missions, les valeurs et les mécanismes de gouvernance de l’entreprise. Ce point n’est plus, depuis un an ou deux, un point de difficulté. Il est devenu un ensemble de points d’ajustements permanents. Nous prenons du temps pour réfléchir et nous adapter, en permanence. Mais pour en arriver là, mon associé et moi-même avons fait un gros travail de développement personnel. C’était indispensable.

Ce dont je suis le plus fier aujourd’hui, c’est d’avoir réussi à comprendre beaucoup de mes peurs.

Si c’était à refaire… je résumerais en un seul mot : OSER, OSER PLUS. Avoir plus confiance, traverser ses peurs, ne pas avoir peur par exemple de perdre des acquis, avoir confiance en sa capacité à réagir et à s’adapter.

 

5 – Quels sont vos rêves pour Kyos dans les 5 ans à venir ?

  • Faire en sorte que les collaborateurs OSENT davantage prendre des décisions : même si aujourd’hui ils sont déjà bien responsables, nous souhaiterions qu’ils n’aient plus peur de se tromper, qu’ils osent aussi être plus créatifs et qu’ils soient encore davantage force de propositions.
  • Arriver à mettre en place une culture du Feedback. Et ce n’est pas simple ! Oser se dire ce qui va et ce qui ne va pas, de manière simple et respectueuse. Oser parler de son ressenti, partager ses émotions, faire part de son impression et savoir écouter – dans le respect de l’autre. Le feedback doit être fait en tête-à-tête, et non devant les autres, il devient alors plus simple à faire.
  • Créer un véritable climat de confiance et d’entraide. Tout est lié : avec de la confiance, on ose plus, on s’entraide, on est aussi plus créatif, on ose le feedback. Pour nous, la confiance s’établit par le feedback, et non par la bienveillance. Il est important aussi de mettre en place des règles simples. Etablir un climat de confiance, ça prend du temps !
  • Donner envie aux collaborateurs d’être utiles et responsables. Pour nous, ce n’est pas à Kyos de motiver ses collaborateurs ; nous proposons un cadre pour qu’ils se sentent utiles et responsables. Nous faisons tout pour casser le mythe du manager et de la hiérarchie. Nous prenons le temps de partager notre vision et d’être à l’écoute des peurs des collaborateurs. Parler de ses peurs n’est pas un tabou.

Le premier jour où un nouveau collaborateur arrive chez Kyos, je le reçois et lui dis les mots suivants : « C’est vous qui décidez maintenant ce que vous allez faire, vos missions, vos rôles. Vous aurez la possibilité de changer de rôle selon la valeur ajoutée que vous estimerez apporter le plus à l’entreprise. Vous pouvez aussi demander de l’aide à vos collègues et déléguer ».

Nous suscitons aussi beaucoup le questionnement chez nos collaborateurs. Par exemple, nous avons reçu, un par un, les commerciaux et leur avons dit : « Nous pensons que ce serait bien de vous passer en salaires fixes. Et vous, qu’en pensez-vous ? ». Nous avons également reçu tous nos collaborateurs, un par un, et leur avons demandé : « Nous pensons que ce serait bien de publier tous les salaires de Kyos. Et vous, qu’en pensez-vous ? ».

Concernant la question des salaires, nous demandons aux collaborateurs, une fois par an, le salaire qu’ils souhaitent obtenir, s’ils estiment être rémunérés de manière juste, sinon quel serait pour eux le salaire juste par rapport aux missions qu’ils réalisent . Jusqu’à aujourd’hui, nous avons donné à tous les collaborateurs le salaire qu’ils estimaient être juste pour eux.

En résumé, je dirais que le récit de Kyos, c’est : confiance + responsabilité + culture du feedback, le tout autour d’une vison et de valeurs communes et partagées. Et ça fonctionne !

6 – Quel regard portez-vous sur l’écosystème des start-up ?

Plutôt que de parler d’un écosystème de start-up, qui est restrictif de mon point de vue car essentiellement lié à l’innovation, j’ai envie de parler de l’écosystème de l’entrepreneuriat en général.

Je considère l’entrepreneuriat comme un modèle de société. Mais la société a encore trop tendance à inciter les jeunes générations à obtenir un diplôme, puis à chercher un emploi. Alors que la finalité des études, c’est justement d’être utile à la société. Et l’entrepreneuriat est un bon moyen d’être utile.

Je trouve qu’il n’y a pas assez d’aides pour l’entrepreneuriat, en-dehors des aides à l’innovation. Or 90% des besoins des entreprises ne sont pas de l’innovation !

Concernant les investisseurs, j’ai envie de leur dire de donner davantage de sens à leurs investissements. Car cela fait aussi sens s’ils apportent autre chose que de l’argent.

7 – Quels conseils donner à des créateurs d’entreprises aujourd’hui ?

  • Bien réfléchir au WHY,
  • Ne pas hésiter à mener une introspection personnelle,
  • Oser y aller car au pire, vous gagnerez en expérience On apprend toujours de ses erreurs…
  • Et faire confiance aux autres.

Et pour conclure, j’aime bien la phrase : « Dans la vie je ne sais pas ce qui est important, mais tant qu’à faire, il ne faut pas oublier de se faire plaisir ! »